Mathieu VIGNAL salue votre visite sur ASA-TEXTES
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Sociétaire SACEM N°1487267
LE COMPTOIR
(En collaboration avec Patrick AZOULAY)
Acte XII
(Dans un bistrot populaire.)
Entrent deux jeunes, un français et un Nord-Africain.
Français : – Deux pastis !
Gargotier : – Tout d’suite !
Pendant qu’il les sert commence leur discussion :
N-A. : – Putain, y m’ont encore fait chier avec les contrôles ! Z’arrêtent pas !
Et comme par hasard ça tombe toujours sur les beurres !
Français : – Non ? !
N-A. : – Si ! Puis t’as vu comm’ j’suis bâti !
Y s’en prennent jamais aux grands costauds, chez les beurres !
Et pour moi, c’est pas du gâteau, eh ! Ils prennent toujours des p’tits beurres !
Hé ! Des p’tits beurres pour leur quatre-heures !
Silence.
Français : – Qu’est ce qu’y t’voulaient, encore ?
N-A. : – Eh, contrôle des papiers, hé ! Parait qu’y encore eu un casse cett’ nuit, hé !
Français : – Mais t’y est pour rien, toi !
N-A. : – Ouais ! C’est c’qu’je leur ait dit !
Moi, comm’ j’leur ai dit, je suis honnête et j’essaie d’m’en sortir ! J’cherch’ du boulot !
Français : – Et y t’ont quand mêm’ emmerdé ?
N-A. : – Hé, j’leur ai dit, pouvez m’fair’ confianc’ !
Y a un flic qu’à dit « Non ! », hé !
J’ai fais « Pourquoi ! », oh ? !
C’est pa’c’que j’ai 27 ans et six ans de tôles, qu’y m’font pas confianc’, hé, ils ont dit, ces cons ! »
Silence.
N-A. : – P’tant, …, j’leur ai même montré ma carte A.N.P.E. ! Rien à faire, hé !
Français : – Ah, putain ! Les cons !
N-A. : – Comment tu veux y arriver si tout d’suite, sans raison, on t’fait pas confianc’, hé, quand tu dis qu’t’es honnête !
Français : – C’est vrai, ça !
N-A. : – Les cons, comm’ j’leur ai dit, six ans de tôle, c’est rien ! C’est des erreurs de jeunesse ! Maintenant j’ai 27 ans ! A qui c’est pas arrivé, hé ?
Et le flic y m’a répondu : « A moi ! », oh !
Silence.
Français : – Ben c’est vrai, ça ! A qui c’est pas arrivé ?
N-A. : – Ah, tu vois ! Ça t’es arrivé, à toi aussi !
Français : – Non ! Pourquoi ?
Silence.
N-A. : – Et puis, l’autre jour, je suis allé chez les parents de ma femme !
J’chui allé voir sa mér’, hé !
J’lui ai dit comm’ ça, ta fille, maintenant, ell’ me prend la tét’ ! J’te la ramén’, hé !
Français : – Comm’ ça ? !
N-A. : – Ouais, hé ! J’lui ait dit comm’ ça !
Puis y sont pas facil’s les parents ! Y’avait l’pèr’ qu’écoutait derrièr’ la port’,éh !
L’est sorti, et l’a dit comm’ ça : « On la renvoie au bled ! Ell’ va pas nous fair’ chier, celle là ! »
Français : – Et alors ?
N-A. : – Alors, j’ai compris qu’y valait mieux pas la laisser de suite !
Français : – Et t’as fait quoi ?
N-A. : – Je l’ai gardée pour voir, on s’est expliqués, hé, et maintenant ça va mieux, euh !
Français : – Putain, t’as raison qu’y sont pas commod’s ses parents !
N.A. : – Putain non, hé ! Sont pas commodes !
Français : – Et ça va mieux ?
N.A. : – Ouais ! Elle a compris !
Et quelque part c’est bon d’avoir la femme à la maison, hé !
J’chuis pas rétrograde, hé ! J’chuis moderne, moi ! Hé ! Où tu vas ? Hé !
Silence.
N-A. : – Et maintenant que j’suis avec ell’, j’ai plus envie de fair’ des conneries, hé !
Français : – Qu’est c’tu veux dir’ ?
N-A. : – J’veux un’ vie tranquille ! J’cherch’ du boulot, mais c’est dur, j’trouv’ rien !
Et les flics y font toujours chier, hé !
Vont m’obliger à recommencer, s’ils continuent !
Mais, moi, j’l’comprends, lui, hé, « Mickaël Jackson », con !
Y s’est fait blanc hé ! Comm’ ça on lui d’mand’ plus ses papiers, oh ! Hé ! Il est pas con, lui !
Avant, à Harlem, con, cinquante fois par jour on devait lui demander ses papiers ! Hé !
Maintenant il est blanc !
Et maintenant l’est tranquille, lui !
Hé ! Oh ! Hé ! Où tu vas ! Hé !
Français : – Putain, ouais !
N-A. : – Y vont m’obliger à recommencer s’ils continuent, hé ! Les flics, con !
Hé ! C’est leur faut’ si on peut pas s’en sortir !
Français : – Ouais !
N-A. : – Puis leur ai expliqué mais veul’nt rien comprendre ! Eh ! J’fais d’mal à personn’ !
Chuis honett’ , moi !
Moi, j’braquais qu’les rich’s, hé !
Eux, y s’en fout’nt ! Alors je f’sais d’mal à personn’
Français : – Ah, ouais ? !
Et comment tu savais s’ils étaient riches ?
N-A. : – Eh, putain ! Tu me prends pour un con, là ! Con ! Hé !
Je l’sais s’ils sont riches ! Hé ! Ils ont une odeur, éh, les riches !
C’est comm’ nous, on dit qu’on a une odeur de mouton ! Con !
Hé ! Où tu vas, là ! ?
Eux aussi, ils ont une odeur ! Hé ! Normal ! Oh ! Chacun son odeur !
J’fais d’mal à personne, moi ! Hé !
Français : – C’est vrai, ça ! Tu leur as expliqué, aux flics ?
N-A. : – Ah, ouais, hé ! Bien sur que j’leur ai expliqué que j’braquais qu’les rich’s !
Français : – Et pas moyen ! ? Y compren’nt pas ? !
N-A. : – C’est comm’ les commerçant !
Les petits, s’tu les braqu’s, tu les mets dans la merde ! Moi, j’braquais qu’les gros !
Français : – Ah, bon ? ! Les gros, heu, les obèses ?
N-A. : – Eh non, hé ! J’les baise pas, oh !
Non ! Con !
Les gros commerces ! Les supermarchés, hé ! Eux y s’en fout’nt ! Eux ! Hé !
Français : – Putain, et les flics y peuv’nt pas comprendre ça ?
N-A. : – Non ! Rien à fair’ !
Quand tu leur dis qu’tu braqu’ que les gros, et ils s’énervent, hé !
Comm’ s’ils préféraient encore que j’braque les petits ! ces cons !
Les p’tits, tu les fous dans la merde, si tu les braques ! Et où tu vas, hé !
Français : – Putain ! C’est vraiment des cons !
N-A. : – Puis moi faut plus qu’je déconne, hé ! Y m’surveillent de prés, hé !
La premièr’ connerie y m’renvoient au bled ! Je l’sais, hé ! Y m’l’ont dit !
Français : – Ah, hé, oh, là ! Là faut pas déconner !
N-A. : – Ah, putain non, hé ! C’est vraiment mal fait le systèm’ en France !
Quand t’as réussi à rentrer et qu’tu veux t’en sortir, si y a personn’ de solid’ pour t’aider, tu peux pas y arriver, hé !
Et ils veulent te sortir pour plus pouvoir rentrer ! Hé !
C’est vraiment un systém’ de merde, la Franc’, hé !
Ça t’dégouterait d’y rester !
Français : – Ouais ! Mais faut pas déconner, hein, si tu veux pas retourner au bled !
N-A. : – Putain non ! con ! Risque pas, hé ! J’veux rester ici, moi ! J’chuis français autant qu’toi, hé !
Français : – Ah, hé, ouais, ouais, ouais !
Mais t’es arabe quand même !
N-A. : – Ouais, mais un arabe français !
Silence.
Français : – Putains de flics ! Vraiment des caves !
N-A. : – Ah, ça ouais, hé !
Oh, hé, hé, oh, hé, hé, hé, hé, hé, hé,
Français : – Stop !
N-A. : – Ouais, hé ! !
Putain hé, en v’la un qu’arriv’ ! Allez, va, hé !
(Un policier entre dans le bistrot)
Laiss’ la monnaie, on s’arrach’, hé ! Regarde !
Y va app’ler les flics, là, le flic, hé ! J’le connais, éh ! J’chuis déjà venu, hé !
Euh, …, Gargotier, hé !
Et il m’en veux, en plus, le flic, c’est une teigne, hé !
Y peux pas voir les blancs arabes, lui !
Français : – Et pourquoi tu dis ça ?
N-A. : – Parce que chaque fois qu’y a un mec qui vient ici boire, il dit deux blancs !
Enfin, .., jamais un blanc ET un beurre !
Français : – Ah, ouais, hé, enfin, c’est pas grave !
Français pose l’argent sur la table et ils sortent rapidement.
Le policier s’approche du comptoir.
Policier : – Gargotier, un coca, s’il vous plaît !
Gargotier le sert.
Gargotier : – Alors, en service ?
Policier : – Oui ! Tout va bien ici ?
Gargotier : – Tout va bien !
Policier : – Alors je continue !
Il finit son verre, pose la monnaie sur le comptoir et part.
Poivrot : – T’as entendu le jeune, là ?
Gargotier : – Ouais !
Poivrot : – On a fait quand même pas fait six an de tôle à vingt sept ans par hasard !
Fada : – Mais il a dit que c’était une erreur de jeunesse, comme tout le monde !
Poivrot : – Et toi t’as fait six ans de tôle, toi, pour une erreur de jeunesse ?
Fada : – Non, mais c’est différent ! Et puis, puisqu’il l’a dit ! »
Poivrot : – Et pourquoi ? Pourquoi ce s’rait différent pour toi ?
Fada : – Parc’que je suis pas comme tout le monde, moi ! Tu me le dis tous les jours !
J’suis comm’ moi, moi !
Poivrot : – Heureusement pour tout le monde ! Mais c’est pas le problème !
Epilog entre et dit spontanément :
Epilog : – Oui, mais …
Poivrot le coupe tout aussi spontanément :
Poivrot : – Y a pas de mais qui tienne !
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