MON GRAND-PÈRE

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MON GRAND-PÈRE

La maison est ancienne, faite en pierres que cachent
Un morne crépis lisse. Le petit balconnet
Est couvert d’une vigne qui n’a plus de nom,
Mais lui offre un couvert clair et parcimonieux.

Sous les rameaux serrés de ce feuillage étroit,
Beige sol de la cour qui mène vers les caves
De cette ancien relais, ce cœur et ce foyer
Qui a toujours nourrit ceux qui l’ont habité.

Mais quel qu’il fut un jour, l’âtre s’est vu blessé,
Noyé par l’industrie, englouti sans un cri
Au profit progressif de la distillerie ;
Petite vigne est morte et balconnet tombé ;

Remplacé promptement par une plaine vide,
Par le toit bien trop plat des bureaux nécessaires
Quand l’usine grandit, digère les racines,
Et ne garde aux abords que les deux acacias.

Oui, les deux acacias, plantés par le Grand Père
Quand il était sans doute encore un Petit Fils,
Quand, malgré leur grand âge, on les a respectés ;
Ils gardent les deux angles, infirmes et vigilants.

Se trouvent aussi les saules, au bout du terre-plein,
Du parking maintenant bétonné, sale et plat ;
Se trouvent aussi les saules, pauvres et qui pleurent
Au bord de ce désert qu’habitent les autos.

Au fond du vieux bassin le Tire-Nègue dort,
Pour toujours désormais depuis que les hangars
Remplacent maintenant les silos du Grand-Père,
Les poules avec leurs œufs qu’on gobe encore chauds.

Même, et malgré Papé, le tracteur à chenilles,
Oui, le petit tracteur, tout comme exécution
Est parti, malgré lui, de force et le privant
De sa mort naturelle, au ferrailleur du coin.

Oui, le petit tracteur aux chenilles rouillées,
Il me l’avait donné, mon Papé, mon Grand-Père,
A qui, sans rien nous dire, on a réglé le sort
En offrant au bourreau le rêve d’un enfant.

De la maison d’en face, en traversant a la route,
Ne viennent plus les mots, les injures et les cris
Du Sac à vin, terreur et plaisir des enfants,
De cet homme si seul, abandonné de tous.

Y croyait-il encore ? Il appelait sans cesse
A qui voudrait l’aider, à qui voudrait l’entendre,

Lorsque nul ne répond, lorsque nul ne comprend
Et qu’ils rient sans savoir qu’ils en sont seuls coupables.

De la vieille maison, Ramière et délabrée,
Là, de l’autre coté de la route qui coupe
Son petit coin de terre, avec sa source fraîche
Et notre jardinet, côté maison Pascal,

Remontaient les échos des cris du Sac à vin
Sur le royaume fait jardin du Petit-Fil
Qui nourrit la glycine au deuxième balcon
De la vieille maison, « Maison de mon Grand-Père ».

Derrière la bâtisse, ses terres vont s’étendre
Au loin et jusqu’au bord de l’Ardèche, rivière,
En couloir nourricier tout planté de fruitiers,
Qui héberge à loisir tant de témoins d’avant.

Voici le vieux Tilleul qui, envahi de lierre,
Doit vivre maintenant en bordure du gourd,
Gourd qui draine à présent, avec les eaux de pluie,
Celles du tas de marc distillé de l’hivers.

Mais un autre ruisseau borde notre « Chez-nous » ;
Le Ruisseau comme on dit, frontière naturelle
Et qui sans plus de sens quant avec nos amis
Ancestraux, nos voisins : les « Deloule », ceux « de l’eau ».

Souvent, les soirs d’été, comme on dit, « à la fraîche »,
Installés tous ensemble, assis sur le balcon,
C’est après le souper que chacun conte enfin
Sur les fauteuils précaires, au tissus des beaux jours,

Son histoire, ou sa « fable ». Ne passent au plus bas,
Et sur la nationale, presque plus de voitures.
Les platanes sont là, ils écoutent eux aussi
Les histoires de tous, celles du Patriarche.

Et c’est « Fiéroun-fiérade », « le loup et le renard »,
C’est aussi « la Cézette », « La chasse formidable »,
L’histoire du « Jeannet », plus voleur que jamais,
Quand les mots s’entremêlent et construisent la Vie.

C’est un peu de français, c’est un peu de patois.
Nous sommes autour de lui, public respectueux,
Et sous son grand chapeau fait de feutre éternel,
Il roule son tabac, toujours ressuscité.

Ah oui, ses cigarettes, hors du temps elles aussi,
Rallumées si souvent et jamais terminées,
Cendre qui vient tomber sur son grand polo blanc.
Je doute quelques fois qu’il en ait finit une.

Dieu que j’aimais sa voix calme et riche en savoir,
En savoir et en Vie, la Culture du vraie,
Les harangues précieuses et les dictons sans âge ;
Quand, sous son grand chapeau, il dispensait le Verbe.

Le midi de Rémus, du soleil, du travail.
Savait fort témoigner, par la voix du Grand Père,
De ses trésors d’Amour, tant de joie, d’Amitié,
qui me sembles évincés du monde d’aujourd’hui.

La vie du « Patriarche » ! Peut être la vraie Vie,

Celle qu’on imagine, dans les champs, les moissons,
Les paysans d’avant, les soirées prés du feu,

La saucisse grillée aux abords de l’affût
De fortune fait pour une journée de chasse,
Mangée en racontant la « pêche formidable »,

Celle avec le Félix, son Ami de toujours,
De ces amis d’enfance et jusqu’au dernier jour.

« Affabuler » dit on, mot barbare et gentil,
Lorsque ce qui me semble en tous points irréel
Est bien né, aujourd’hui, d’imaginations folles
Et du rythme infernal que l’on impose au temps.

Grandes crues de l’Ardèche, ces crues qu’ils craignaient tous,
Maintenant révolues par bien trop de barrages
Qui nous ont supprimé tant de témoins d’avant,
Qui, des lampes tempêtes et des lampes à pétrole,

Du labeur, de l’’Amour, vie des couples qui durent,
Et qui durent toujours ; où si l’un reste seul
Même après c’est toujours, et rien, malgré le temps,
Ne peut les séparer face à l’éternité.

Les naissances, les mariages, les baptêmes et bien-sûr
Les décès, où chacun, où tous sont réunis,
Aucun ne manquera et nul ne sera seul
Quand tout est partagé, sans façon ni manière.

Alors dans les repas de fête l’on a bu,
Tous bu si prés de lui ce vin « cuvée spéciale »,
« Vin de l’enterrement » ; de « son » enterrement,
Élevé et tiré par lui pour l’occasion.

Ce vin presque épuisé lorsque vint le jour dit.
Il en a profité, avec nous dans la joie,
Et laissa sourire, lorsque, désespérés,
Ne restait qu’une fiole ; seule qu’il ne goûta.

Ses épaules robustes en témoins du labeur,
Sagesse parlant de la rudesse des jours,
De son entêtement et de son caractère
Pas toujours si facile, et malgré tout très dur.

La volonté de vaincre, et vaincre cette vie,
En étant toujours quoi qu’il en soit le plus fort,
Et de se battre encore, de se battre jusqu’à
Faire céder ce mur, rempart des injustices.

Le respect, et l’amour de ceux qui l’entouraient
Sont un fruit de rigueur, de la tenue toujours
De ses engagements, et du respect des autres.
Quoi qu’il fut des erreurs, Humain en principal.

Il n’est plus, aujourd’hui, mais vit encore en nous,
En nous et parmi nous, par ce qu’il a laissé.

Il est encore là dans tant de nos actions,
Si souvent dans ma vie, à moi, son « Petit-Fils ».

Je ne peux oublier. Il parsème toujours
De son enseignement, autant qu’à mots couverts,
Tant de conversations que je me vois tenir ;

Même si, quelques fois, …

…, on les juge banales.

Extrait de « Cahier N°10 : « Compilation de textes »

Tous droits réservés pour tous pays par Mathieu VIGNAL©

SACEM N°1487267